D’où viens-tu Misaine ?

Je viens d’un pays qui n’existe même plus, pourrait-elle dire.

 

Le mot est attesté en 1573. Il semble qu’il vient du langage du levant (Méditerranée) sous forme de « méjane ou mienne » (1382), en provenance de Gène. Elle a muté en « mizzina », via le catalan. Sa signification est celle d’intermédiaire comme dans mezzanine (plutôt que de situé au milieu). Voile d’arrière sur les galères, la misaine est devenue plus tard (fin du XVIe) dans le langage du ponant (qui est aussi celui des vaisseaux), voile d’avant. Rabelais, grand homme de mer en littérature, nous parle d’arbre de trinquet, comme les proches italiens avec leur « arbreto de tirquette ». Les Anglais, eux ont gardé leur « mizen » à l’arrière. Nous, autres Bretons, subissons l’influence française avec « mizan », tandis que les Basques arborent leur « trinkenten » à l’avant de leur chaloupe.

Misaine, dans son acception d’aujourd’hui, est le nom de la voile (établie vers 1440), entre le grand mât de beaupré des navires de haute mer appelée cogues [nef est un terme général et littéraire]. Au départ, simple espar amovible planté à travers la plate-forme de combat tenant lieu de gaillard d’avant, elle aidait à la manœuvre et devint en moins de cinquante ans partie intégrante d’un grand voilier, au même titre que l’artimon portant latin qui l’équilibrait sur le château d’arrière. Il porta très vite un hunier.

C’est ce type de navire, la caraque (lourd), ou la caravelle (plus légère) que l’on voit sculpté, comme par exemple, sur les églises de Pennarc'h (1508) et de St Guémolé.

 


C’est le début de cette époque de 400 ans de la voile moderne, celle des trois mâts qui venait de naître.

 

Ce nom a été donné plus tard au mât avant des navires de type lougre et autres chaloupes au tonnage plus réduit, gréant deux ou trois voiles au tiers, et d’origine plus ancienne. Sur le Manche on l’appelle quelquefois « bourcet » du hollandais boerseil et mater celle de l’arrière 

Si l’on suit à peu près la trace étymologique de Misaine, la généalogie du misainier est plus chaotique. La voile au tiers, qu’on dit « fille de la voile latine », était diversifiée en usage : commerce, guerre et surtout pêche en divers tonnages. Était-ce une évolution de la voile carrée latéralisée avec une arnure spécialisée et une vergue, crochée au 1/3 pour « guinder » la bordure d’attaque ? Ou un apport des pêcheurs-caboteurs espagnols ?

 

Nous n’avons pas de témoignages avant le XVIIe siècle.

 

La chaloupe sardinière, avec sa misaine et son taille-vent est un bel exemple de l’adoption de cette voilure qui n’a cessé d’être améliorée au cours du XIXe siècle et au début du XXe, apiquage de la vergue, amurage central en tête d’étrave, croisement misaine et taille-vent, etc.

 

La carène elle aussi évolue : fonds plats, bouchains « carrés » accompagnés d’un élargissement tout en conservant un bon retour de galbord. La quête d’étambot devient plus prononcée, recentrant le plan de dérive. Plus tardivement, le tableau, moins fragile que l’arrière rond, sera adopté. L’ancienne main de fer sera remplacée par une barre d’écoute.

 

Après la crise de la sardine au début du siècle, la chaloupe ou grand canot quand il possédait un tableau, disparaît peu à peu par le changement de métier dû en partie à la raréfaction de la ressource. Ces nouveaux métiers demandaient un équipage moins nombreux et des embarcations plus modernes [cotres sardiniers, etc.] ou plus petites et polyvalentes [casiers, palangres, filets, etc.]. Vers les années 20, ce canot abandonne son taille-vent gênant la manoeuvre et même quelque temps remplacé par un tapecul. Il perdit aussi un peu d’élancements et devint le misainier même si, par ailleurs de petits canots ainsi gréés naviguaient auparavant. Désormais, la misaine pouvait être bordée jusqu’au tableau, jusqu’à identifier le bateau à sa voile et quelquefois à son unique membre d’équipage.

 

Ceci faisait quelquefois dire du misainier : « une voile, un bateau, un homme ».

 

 Article parru dans la revue La Misaine n° 22 - janvier 2000